Afroféminisme, parlons-en aujourd’hui encore, et cette fois-ci avec la blogueuse Anita.
Passionnée du digital, véritable AS du Social Media, Anita est à la créatrice du blog CREMEECARAMEL, sur lequel elle aborde des sujets autour de la valorisation de la femme africaine, la beauté mais aussi la mode. Elle se définie elle même comme une afro-européenne, engagée dans le mouvement de l’afroféminisme.
C’est donc tout naturellement que nous avons voulu en savoir plus sur la vision qu’elle a de ce mouvement de plus en plus présent en Europe et pullule sur la toile.
Vous pouvez retrouver tous les articles d’Anita sur son blog (ici) / Vous pouvez aussi la retrouver sur Instagram (ici)
Quelle définition donnez-vous au féminisme et à l’afroféminisme en particulier ? Pourquoi la nécessité de se distinguer du féminisme en général ?
Le sexisme et la misogynie sont des problèmes universels. Vivre en France où n’importe où ailleurs, en tant que femme, c’est entendre des propos sexistes, être sous-estimée, subir du harcèlement sexuel entre le chemin pour aller au travail, et au sein même de son lieu de travail. Et c’est aussi entendre constamment ce que nous devons faire ou ne pas faire, comment nous devons nous habiller, comment vivre notre sexualité, etc.
Dois-je ajouter que c’est aussi ne pas avoir les mêmes droits que les hommes ? Ou encore être payée moins qu’un homme pour le même poste . La liste est bien longue…
Être féministe c’est lutter contre tout cela. Être féministe ne veut pas dire détester les hommes. Chaque genre est invité à être féministe.
On m’a déjà demandé plusieurs fois pourquoi je mets ce fameux « afro » devant le mot féministe. Pour ne pas faire dans la réponse bateau : « Être une femme ce n’est pas facile tous les jours, alors si en plus tu es une femme noire c’est plus compliqué encore ». Il est important de pousser plus loin la réflexion. Pour ma part, je tiens à préciser que je ne me considère pas comme afroféministe lorsque je me trouve dans mon pays natal ou un autre pays d’Afrique subsaharienne.
Dans ces pays où je ne fais plus partie des minorités je suis uniquement féministe.
Je m’explique : la France est dirigée par un système patriarcal, et plus précisément un système whitriarchale. Les plus grands pouvoirs sont dans les mains des blancs. Et nous savons que le racisme y existe et que la femme noire fait face à plusieurs oppressions. Nous femmes noires, métisses, africaines et afro descendantes, nous devons faire face au racisme, sexisme et à la misogynie. L’Afroféminisme est un mouvement pour lutter contre toutes ses oppressions. Et il n’a pas comme but de se détacher du féminisme mainstream, mais de répondre aux attentes des féministes afros qui sont minoritaires. Les sujets problématiques les concernant ne sont pas traités et sont très souvent incompris. En tenant compte de notre culture, nos traditions, notre religion et bien sûr de notre histoire, l’Afroféminisme permet de donner la voix aux femmes afros.
Comment les femmes noires se sentent-elles perçues par la société occidentale aujourd’hui ?
Pour parler en toute franchise, je pense que nous nous sentons incomprises. Sans mâcher mes mots, nous nous sentons dévalorisées, déshumanisées, animalisées, sexualisées. Et je pense que beaucoup doivent être fatiguées de ce qu’on veut nous imposer, de ce dont on nous fait subir, de l’image qu’on nous donne malgré l’éducation et le parcours qu’on peut avoir. Et nous sommes parfois déçues par ces autres femmes noires ou hommes noirs qui ont une certaine visibilité en France et qui jouent au « nègre de service » pour être davantage aimés par la majorité.
Je pense que l’image que veut nous donner la société occidentale prend ses racines dans le passé colonial. Les statistiques ethniques sont interdites en France. Mais avons-nous besoin de cela pour remarquer par exemple qu’il nous est plus facile d’accéder à des postes tels qu’agents d’entretien, auxiliaire de vie ou encore nounou, qu’à des emplois de cadre ? Parfois j’ai l’impression qu’on voit la femme noire comme une femme qui est rarement fatiguée et génétiquement prompte à effectuer les tâches les plus épuisantes.
Lorsque nous postulons à un poste « moins précaire » où il faut un certain bagage, les portes nous sont souvent fermées. Par chance nous enchaînons les petits contrats… Les employeurs nous proposent avec peu de gêne du travail au noir. Et le combat pour en sortir et obtenir un CDI est long. Mais avec beaucoup de persévérance nous finissons parfois par trouver un travail qui nous corresponde. Le problème est que très souvent on attend de nous une certaine soumission ; on devrait « accepter » certaines remarques / blagues au risque d’être accusé de manquer d’humour.
À côté de cela s’ajoute l’impression d’être un fantasme pour certains. Nous sommes fatiguées d’entendre certains propos concernant notre corps ou encore notre soi-disant expertise au lit…
Que certaines personnes se permettent de nous toucher sans qu’elles y soient autorisées (aussi bien les hommes que les femmes), car nos traits ou encore nos cheveux les fascinent. Nous ne sommes pas des objets sexuels, ni des objets tout court !
Nous avons l’impression que notre physique est constamment remis en question et en même temps approprié. Étrange non ? « Oh les femmes noires ont des grosses fesses et de grosses lèvres, c’est vulgaire ! ». Car le modèle occidental veut qu’une belle femme soit fine, élancée et possédante des traits fins. Aujourd’hui la tendance s’inverse, les grosses fesses deviennent des « belles fesses bombées et rebondies » sur les femmes blanches et les grosses lèvres deviennent des « lèvres pulpeuse et sensuelles » sur … qui donc encore ? Je vous laisse deviner, c’est facile ;). Nous avons souvent entendu : « les femmes noires n’ont pas de cheveux c’est pour cela qu’elles mettent des perruques » ou « elles sont complexées c’est pour cela qu’elles se défrisent». Mais lorsque certaines font tomber les perruques, tissages et jettent leur pot rempli de soude… Elles ont droit à des regards méprisants, à des surnoms et des comparaisons extrêmement humiliants. Au point de se demander si elles doivent vraiment venir avec leur afro lors d’un entretien d’embauche …
De plus nos confrères connus ne nous facilitent pas souvent la tâche… Dois-je rire lorsque Issa Doumbia joue le stéréotype de la maman africaine. Ou lorsque ce dernier dit que les maliennes sont vilaines lors d’un sketch contrairement aux marocaines ? Comment moi femme noire, afroféministe dois-je interpréter le lynchage de Madame R.Diallo et Madame Taubira ?
La femme noire est fatiguée !
Quelles sont aujourd’hui les principales oppressions et discriminations subies dans les sociétés occidentales par les femmes noires ?
Je pense que les principales oppressions que subissent les femmes noires sont :
- L’accès à l’emploi
- L’accès au logement
- Les micros agressions qu’elles soient au travail ou dans la rue
Les femmes noires se sentent invisibles ou du moins peu représentées dans la société occidentale, comment cela se matérialise t-il ? Comment y remédier ?
Oui nous sommes clairement moins mis en avant que les femmes blanches. C’est le constat fait en France par exemple. Mais ce handicap ne nous rend pas silencieuses. Nous disons haut et fort ce que nous pensons et agissons à travers les réseaux sociaux, des blogs, magazines en ligne… Grâce à ce qu’on appelle le web 2.0 les femmes noires réussissent à se regrouper, créer et valoriser leurs propres évènements, leur propre culture, style de vie et produits. Je suis de celles qui pensent qu’il faut cesser de vouloir être reconnues par les grands médias et grandes marques même si cela est valorisant. Et ainsi mettre en avant nos propres produits / services ; le sentiment d’être valorisée sera encore plus fort lorsque nos produits auront gagné en reconnaissance. Certaines marques font dans l’hypocrisie. Je ne comprends comment une marque comme l’Oréal met, en France, en avant les peaux noires à travers des égéries noires et vend en Inde des produits éclaircissants. J’aimerais que ces marques voient plus qu’en nous des prospects qui vont faire grimper leur chiffre d’affaires et tentent réellement de contribuer à partager certaines valeurs du mouvement afroféministe comme elles le font pour le mouvement féministe mainstream.
Nous sommes des femmes talentueuses et nous nous devons de nous le dire.
Je pense que nous devons continuer sur notre lancée : créer nos mouvements, ouvrir le débat, créer nos évènements comme l’Afro Hair Academy ; donner de la force à des magazines comme Femme d’influence. Encourager et soutenir nos artistes, auteurs, auto-entrepreneurs. C’est d’ailleurs quelque chose qui me tient vraiment à coeur.
Comment ne pas tomber via nos revendications dans la discrimination nous aussi des autres ? Quelles sont les limites du mouvement afro-féministe ?
Je pense qu’il ne faut simplement pas reproduire ce que font les autres, c’est-à-dire vouloir le plein pouvoir, négliger et ignorer les attentes des autres individus.
Nos limites sont représentées par ce que les autres nous font subir et qui ont conduit à ce que nous créions notre propre mouvement.
J’aimerais parler rapidement des réunions en non-mixité que je trouve totalement justifiée et d’une grande utilité. Nous avons besoin de nous retrouver entre femmes racisées et discriminées pour parler librement. Il faut comprendre que certaines actions soient ouvertes au grand public et d’autres non. Si celles-ci sont fermées aux femmes blanches, asiatiques et inversement… Il y a une raison, les femmes non noires ont un vécu qui est très différent du nôtre. C’est un fait. Je ne me permettrais de vouloir être présente à une réunion réservée aux personnes transsexuelles ou d’origine chinoise, par exemple. Car elles pourraient se sentir mal à l’aise vis-à-vis de moi, non pas parce qu’elles veulent se liguer contre. Mais parce qu’elles ne veulent pas voir leurs propos être remis en question par des militantes non touchées par ces oppressions. De plus est, ses premières pourraient développer un sentiment de culpabilité, ce qui n’est pas le but. C’est vraiment une question de vécu. Parfois nous ne pouvons pas comprendre malgré nos efforts, mais on se doit d’accepter et d’être tolérants. Face à cette situation, j’attendrais simplement une autre réunion ou événement, auquel je serais conviée si je veux en savoir plus sur leur cause. De plus il est important de s’approprier la parole, trop souvent dans les médias ce sont les autres qui parlent pour nous… Je voulais faire un point sur cela car ça fait débat. Et beaucoup ont considéré cela comme de la discrimination.
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