«La dépression, c’est la maladie des blancs. Il n’y a pas ça chez nous »
«Elle n’a pas honte d’élever les enfants ci sans leur papa? »
Combien de fois avez-vous entendu ou tenu des propos du genre ? Pour nous aider à démystifier ces stéréotypes, BWOI magazine s’adresse à Mme Yann Tsobgni, psychologue, consultante et formatrice en santé mentale.
Racontez-nous votre parcours
Je suis originaire du Cameroun et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 18 ans. Par la suite, j’ai immigré à l’étranger pour continuer mes études en psychologie. Je travaille depuis plusieurs années dans le domaine de la santé mentale et je suis spécialisée sur les problématiques liées à l’immigration, et plus précisément celles qui émergent au sein des communautés africaines.
Mon objectif est d’aborder les difficultés psychologiques des personnes d’origine africaine en intégrant les variables culturelles qui peuvent en être des déterminants ou des orientations vers les réponses thérapeutiques appropriées.
Je citerais pour exemple la dépression, qui est une maladie mal connue dans nos communautés et souvent confondue avec la déprime. Elle fait pourtant des ravages et continue à dévaster de plus en plus de personnes.
Plusieurs stéréotypes existent à ce sujet et c’est justement ces derniers qui constituent un frein à la prise en charge des cas chroniques ou aigus. Beaucoup s’imaginent que la dépression est une maladie de blancs et qu’un africain qui en souffre est tout simplement faible.
Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire Noire et psy?
C’est cette stigmatisation qui m’a poussé à créer le blog noire et psy qui se veut être une plateforme de sensibilisation et d’éducation sur les troubles de santé mentale courants qu’on retrouve dans nos communautés.
J’y partage mes analyses et réflexions, et fournis également conseil et orientation à ceux qui en font la demande.
En matière de guérison, la prise de conscience est capitale. Par conséquent, l’information devient également essentielle. Elle permet de démystifier et de dé-stigmatiser les maux dont personne n’ose parler (inceste, maltraitance, abus, suicide, dépression, folie).
Elle permet également de libérer la parole et de faire entendre les voix souffrantes qui par ignorance ou par peur, ont choisies de se taire depuis trop longtemps.
Toujours dans le même ordre d’idées, j’ai beaucoup travaillé en accompagnement individuel avec les mères célibataires de la diaspora. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’écrire un livre sur le sujet, qui serait un guide d’auto-guérison pour celles qui vivent cette situation avec difficulté et qui éprouvent le besoin d’être soutenues.
Pour les mamans célibataires, consolider vie sociale, professionnelle et familiale est souvent un défi. Quels conseils pouvez-vous donner aux femmes qui sont dans des situations similaires ?
La première chose que je souhaite leur dire est qu’une bonne mère est d’abord une femme heureuse.
Les situations étant forcément spécifiques, il m’est difficile de donner des conseils qui pourraient s’appliquer à tout le monde car tout dépend encore du type de travail, du nombre d’enfants à charge et du soutien disponible au quotidien. Sans oublier que chaque femme a sa personnalité propre et ses propres blessures qui pourront influencer la manière dont elle vivra sa situation de maman solo.
Toutefois, je pense qu’il faut se ménager du temps pour soi autant que possible, afin de pouvoir se ressourcer, de recharger les batteries.
Respecter ses limites, physiques et émotionnelles est un aspect très important. Car bien souvent les mamans solos veulent tout faire tout le temps. Apprendre à prioriser et à demander de l’aide peut aussi être un excellent atout.
En ce qui concerne les enfants, il est important de rester connectée avec eux. Ce n’est pas la quantité des interactions qui comptent, mais la qualité.
Pour terminer, je dirais que de mon expérience personnelle, la construction d’un réseau de personnes sur qui on peut compter est une priorité.
Diriez-vous que la mère célibataire et africaine a plus de difficultés que d’autres races? Si oui, pourquoi?
L’éducation des enfants, la solitude affective, la gestion du quotidien sont des difficultés rencontrées par les familles monoparentales peu importe la race.
Ce qui peut affecter la maman solo africaine spécifiquement relève plutôt d’éléments culturels comme le poids des pressions familiales et sociales, le regard de la communauté, les chances de se remettre en couple, etc.
En outre, l’éducation dans nos cultures africaines est en général faite de manière communautaire. Tout le monde y participe, chacun à sa manière. Cela pourrait donc devenir difficile d’élever un enfant toute seule la ou il a toujours fallu un village, une famille ou une communauté.
Sans oublier que la situation est différente en fonction du milieu dans lequel on vit. Une mère célibataire en Afrique ne vivra pas les choses de la même façon que celle qui vit en terre d’immigration. Le contexte étant différent et les ressources sur lesquelles s’appuyer aussi.
La maman célibataire qui réside en Afrique vit elle la même expérience que celle de la diaspora?
Pour avoir échangé avec les deux types de profil, je dirais que pour certaines mamans de la diaspora, c’est plus la gestion du quotidien qui pose problème. La famille étant loin, il n’y a souvent personne pour apporter un soutien en cas de besoin. Elles doivent se débrouiller comme elles peuvent pour jongler entre études/travail, école/garderie et gestion de la maison. Si elles veulent sortir il faut trouver des baby-sitters et aussi pouvoir les rémunérer le cas échéant. Cette contrainte peut amener certaines femmes à s’isoler et à ne plus avoir de vie sociale. Donc, il ne faut pas hésiter à intégrer des groupes de mamans célibataires pour sortir de l’isolement et socialiser.
Élever un ou plusieurs enfants seule comprend de nombreux défis. Certaines y parviennent sans trop de difficultés mais d’autres ont beaucoup de mal, en fonction de leur personnalité, de leur situation personnelle et de leur histoire.
Les mères célibataires qui sont au pays ont plus facilement accès au soutien familial ou à l’assistance d’une ménagère. Toutefois, elles pointent du doigt le regard de la société qui semble plus accusateur qu’à l’étranger. Les moqueries des voisins, les sous-entendus de la famille, etc.
Le statut de maman solo comme vous dites, a-t‘ il un impact sur les enfants?
Ce n’est pas le statut en soi qui posera problème, c’est la manière dont la maman va vivre ce statut qui impactera ou non ses enfants. L’absence de père a également un impact, et surtout des conséquences sur le développement psycho-affectif des jeunes enfants.
Dans mon livre, Mère Célibataire Africaine, j’analyse justement cet impact. Les mères célibataires débordées courent un risque de burnout maternel, de stress et de dépression. Constamment sollicitées elles doivent souvent jouer le rôle de père/mère et manquent de temps et d’énergie pour tout faire bien. Or, une maman stressée ou déprimée peut avoir des comportements qui impactent ses enfants sans le vouloir. Le manque de patience, les mots lancés sans réfléchir parce qu’elle est fatiguée de répéter 15 fois la même chose, etc.
A bout de forces, certaines mamans ne surveillent même plus les devoirs et les sorties des enfants. Ces derniers peuvent se retrouver en décrochage scolaire sans qu’elles ne s’en rendent vraiment compte. Par la suite, ce sont des conflits qui éclatent à l’adolescence et parfois, les enfants rompent les liens et quittent la maison. Ils reprochent le manque d’amour, d’attention, de temps et dans certains cas l’absence de père.
Il faut du temps et de l’investissement pour élever un enfant. Ce n’est pas déjà facile pour un couple, imaginez donc la tâche pour une mère seule.
Une maman solo qui s’isole par exemple va aussi isoler ses enfants s’ils sont encore petits. Si elle ne sort pas, elle les condamne à ne pas sortir aussi et du coup, ils socialisent peu. L’enfant a pourtant besoin de socialiser pour développer ses compétences relationnelles et sa confiance en soi.
Je citerais aussi l’apprentissage culturel car éduquer c’est aussi transmettre sa culture à ses enfants. Malheureusement, le fait d’être parent solo peut reléguer cette activité au second plan, la gestion du quotidien étant prioritaire.
Une maman solo équilibrée et heureuse à plus de chances de réduire l’impact de l’absence de père dans la vie de ses enfants. Elle est plus à l’écoute de leurs besoins et à la patience pour y répondre convenablement. Elle sait reconnaître ses limites et demander de l’aide en cas de nécessité.
Pour ces femmes qui désirent retrouver l’amour, quelques conseils?
Prendre soin de soi et se plaire d’abord à soi-même. Ensuite, déterminer le type d’hommes qui leur convient et surtout ne pas tomber dans la dépendance affective.
Avoir déjà des enfants ne leur enlève pas leurs qualités en tant que femmes. Ce sera peut-être difficile, mais il faut savoir ce qu’on veut et travailler à guérir ses blessures avant d’entrer dans une nouvelle relation. Avec peu d’estime de soi et une peur de finir seule, on est équipée pour multiplier les mauvaises relations et les échecs. Qu’elles prennent le temps d’être heureuse seules, ensuite il sera plus aisé de rencontrer un homme pour partager ce bonheur.
Il est possible de se procurer le livre, Mère Célibataire Africaine, et d’en lire un extrait ici.
Propos recueillis par Laurence Lagmago