Direction l’univers culinaire aujourd’hui avec notre BWOI du jour qui n’est nulle autre que Fati Niang, française d’origine sénégalaise, maman, entrepreneure, passionnée de cuisine, elle est la créatrice et la fondatrice du premier Food Truck africain en France : Black Spoon.
Un projet lancé en 2013 et dont le succès comme elle l’explique elle même était plus qu’inattendu. Entre deux événements, nous avons réussi à échanger avec elle sur son projet, ses passions et sa vie de femme africaine en France. Une femme déterminée pour qui la patience est la première clef de la réussite et qui a su surfer sur ses deux cultures pour mettre en place un business florissant.
Vous vous êtes lancée en 2013 dans l’aventure Black Spoon, parlez nous de vos débuts dans l’entrepreneuriat…Vous attendiez vous à tel buzz et un tel succès ?
Oui effectivement je me suis lancé en 2013. Est-ce que je m’attendais à un tel engouement ? non pas du tout. Moi j’avais créé ce projet pour tester le marché, parce qu’au départ le projet c’était de faire un restaurant, mais comme je n’étais pas dans le domaine et que je n’avais pas d’expérience dans la restauration je me suis dit je vais commencer doucement par un Food truck et puis un peu tester le marché comme un projet pilote pour voir comment les consommateurs allaient appréhender la chose. Donc je ne m’attendais pas à un tel succès, au bout d’un mois on avait les médias, et énormément de monde qui venaient sur, notre site. Vraiment c’était une belle surprise !
Êtes-vous vous même une passionnée de cuisine ? Une bonne cuisinière ? Une amoureuse de la cuisine africaine ? Ou juste une entrepreneur audacieuse qui a saisi un marché encore non exploité ?
Passionnée de cuisine, je dirai pas ça mais une grande gourmande oui. J’aime les bonnes choses, j’aime bien manger, j’aime la qualité de la nourriture que l’on mange et j’ai pas de mal à tester différents produits, différents mets de différents pays. Quand je voyage pour un nouveau pays, la première chose à laquelle je pense c’est est-ce que je vais bien manger, parce que si je ne mange pas bien, automatiquement je vais passer un mauvais séjour. Et oui j’adore la cuisine parce qu’on est tout le temps surpris.
Mes enfants et mon mari me disent que je suis bonne cuisinière donc oui je cuisine beaucoup de choses; Je sais faire tous les mets sénégalais enfin presque tous, je fais aussi la cuisine française. Je cuisine très souvent, presque tous les jours. j’ai quand même quelqu’un qui m’aide mais je cuisine pour mes enfants et mon mari. Par contre, je ne suis pas une cuisinière de formation, je suis plutôt une entrepreneuse, j’ai saisi une opportunité, j’ai senti un potentiel de marché sur ce créneau. Je me suis lancéE dans ce business parce que pour moi il y avait un réel besoin de consommateurs qui attendaient de la nouveauté et quelque chose de différent par rapport à ce qu’ils avaient l’habitude de manger au quotidien. Donc j’ai essayé de mettre en place un concept innovant un peu jeune, dynamique, un concept qui permet de démocratiser un peu la cuisine africaine et de la proposer d’une autre manière.
Quelles difficultés rencontre t-on à vulgariser la cuisine africaine dans les rues de France ?
Les difficultés rencontrées sont liées aux mentalités des gens. Les habitudes ou les stéréotypes que les gens ont vis-à-vis de la cuisine africaine. Pendant presqu’une année on s’est amusé à donner beaucoup de conseils. Je donne un exemple : pour eux systématiquement la cuisine africaine est pimentée ou épicée, alors que moi personnellement je ne mange pas de piment, mon palais ne le supporte pas malheureusement. Mais comme j’adore l’odeur, je suis plus sur les piments végétariens. Alors, pendant une année on a essayé de gommer cette mauvaise image, on a vraiment appris à leur présenter la cuisine africaine autrement : plus saine, plus légère, peu épicée.
Et en tant que femme africaine, en France, avez-vous rencontré des barrières dans la mise en place de votre projet ?
Je n’ai pas eu de barrières en tant que femme africaine pour créer mon entreprise en France ni pour constituer et réaliser le projet. Après j’ai rencontré de petites difficultés pour le financement mais je ne pense pas que c’est dû au fait que je sois africaine, mais plus au fait que je n’avais pas d’expérience au niveau de la création d’entreprise. Vu que c’était ma première entreprise, c’était compliqué pour eux de donner autant d’argent à une femme qui se lance pour réaliser son projet, un investissement de 80.000 euros. J’ai dû faire une dizaine de banques pour y arriver.
Vous êtes d’origine sénégalaise mais vous avez grandi en France. En tant que femme africaine, quel rapport avez-vous avec votre culture d’origine et comment faites vous l’équilibre avec votre culture française ?
Oui je suis française, je suis née en France, j’ai grandi en France, je suis d’origine sénégalaise. Je vis bien ma double culture maintenant. C’est vrai que quand j’étais enfant c’était un peu difficile à vivre parce quand qu’on est en France, on est plus ou moins considérée française mais à chaque fois qu’on vous voit, parce que vous êtes black on vous demande de quelle origine vous êtes. Pour eux ce n’est pas systématique qu’on soit français forcément comme on est black on vient d’un autre pays et ce pays là en fait moi je ne le connaissais pas trop. C’est vrai que depuis que j’ai cinq ans je viens régulièrement au Sénégal pour les vacances avec mes parents. J’ai été élevée à la sénégalaise on a eu une éducation française par le biais de l’école. Je parle ma langue, un dialecte qui s’appelle le peul et que je maitrise couramment, aussi bien que le français. Aujourd’hui je me sens très bien parce que j’ai compris qui j’étais réellement, ça m’a beaucoup aidé d’avoir eu à voyager dans ce pays d’origine, ça m’a permis de comprendre d’où je venais, d’où mes parents et grands-parents venaient, comprendre pourquoi ils ont fait ce voyage pour venir en France et trouver une meilleure vie. Je connais toute ma famille au Sénégal depuis l’enfance. Je me suis adaptée toute ma vie pour être française donc aujourd’hui je prends les deux côtés positifs de l’un et de l’autre. Je vis très bien cette bi-culture. Je me sens française quand je suis en France et sénégalaise quand je suis au Sénégal. J’y habite depuis un an et demi avec mon mari et mes enfants. Ça a resserré encore plus de liens et je comprends encore plus de choses, je suis vraiment en équilibre entre les deux. Autant quand je suis ici la France me manque et quand je suis à Paris le Sénégal me manque aussi.
Vous êtes l’ainée d’une famille nombreuse (7 enfants si nous ne nous trompons pas), comment a été accueilli le fait que vous souhaitiez vous lancer dans un projet entrepreneurial au sein de votre famille ?
Effectivement nous sommes sept enfants avec ma maman, mon papa a 4 autres enfants avec une autre maman, donc en tout on est 11 enfants et je suis l’ainée. Comment cela a été accueilli ? Mon père l’a très bien pris, parce que mon père c’est mon modèle, c’est lui l’entrepreneur, c’est lui qui prend des initiatives. Il est venu en France à l’âge de 18 ans. Donc pour moi c’est un vrai modèle car prendre cette initiative de changer de pays pour avoir une meilleure vie c’est très courageux de sa part. Ma mère par contre l’a très mal pris, elle m’a dit « tu as un boulot confortable, tu gagnes très bien ta vie, pourquoi tu vas te lancer dans l’entreprenariat, c’est risqué, c’est dangereux« . Mes sœurs elles étaient emballées mais en même temps elles avaient peur parce qu’à cette époque j’étais mère seule avec deux enfants et je me lançais dans l’entreprenariat. Sinon d’une manière générale, tout le monde a apprécié le projet mais je pense qu’ils attendaient aussi de voir les résultats, de voir comment ça allait être accueilli de l’autre côté avec les clients, les consommateurs. Et il faut savoir que dans notre famille il n’y a pas beaucoup d’entrepreneurs, j’ai une cousine qui a une pharmacie et à part elle les autres ont des boulots de salariés donc on n’est pas très entrepreneurs dans notre famille.
Qu’est ce que vous procure l’entrepreneuriat que ne vous ne procurait pas le travail en tant que salariée dans une entreprise qui n’est pas la votre ?
Qu’est-ce que me procure l’entreprenariat par rapport au fait d’être salarié : c’est vraiment la liberté et le choix de faire ce que l’on veut à n’importe quel moment. Etre entrepreneur c’est déjà réaliser ses rêves, c’est aussi être libre de ses choix, ses décisions, être complètement autonome. L’entreprenariat me procure une grande liberté de faire vraiment ce que j’ai envie de faire et ça ça n’a pas de prix et c’est un bonheur immense.
En France encore aujourd’hui (et dans de nombreux autres pays), les femmes noires sont victimes de nombreuses discriminations, l’entrepreneuriat peut-il être selon vous un « échappatoire » ou une « opportunité » pour contourner celles-ci ?
L’entreprenariat peut être une alternative pour ce genre de discriminations féminines mais je pense ce n’est pas donné à tout le monde. Tout le monde ne peut pas être entrepreneur parce c’est un mode de vie : savoir prendre des risques, encaisser des coups, gérer des crises, trouver des solutions et c’est pas donné à tout le monde parce que tout dépend du tempérament de chacun. On a des tempéraments plus ou moins leaders ou pas et si on est « faible » c’est compliqué de se lancer dans l’entreprenariat. Et même si c’est un échappatoire pour réaliser ses projets, il y a toute une organisation derrière : il faut avoir les fonds de départ, le réseau qu’il faut, il faut avoir la bonne idée, savoir la développer, il faut savoir communiquer et marketer sur son idée et son concept. Donc l’entrepreneuriat est assez complexe mais certaines femmes s’en sortent très bien, on a beaucoup de modèles. Pour ma part ça m’a appris à mieux me connaitre.
Pour terminer, même si la réussite n’a pas de recette, quelle est la votre ?
Pour moi la recette pour la réussite c’est vraiment la patience. Parce qu’on ne peut pas réussir comme ça du jour au lendemain, du moins c’est très rare. Tous les exemples que je suis comme Walt Disney, KFC ou Mc Donald, ce sont des personnes qui ont été très tenaces, patientes, visionnaires et qui ont énormément travaillé. Donc il n’y a pas de secret, c’est vraiment le travail, la patience, la persévérance et la passion de ce qu’on fait. Ça peut durer 10 ou 20 ans de recherche, le fait de courir à gauche à droite, essayer de trouver des solutions, répondre à des problématiques etc. Mais au final on peut y arriver. Donc si j’ai un conseil à donner c’est que se lancer dans l’entreprenariat c’est bien mais il ne faut pas être pressé mais plutôt s’armer de courage et de patience pour atteindre ses objectifs.