« Je m’y suis lancée parce que j’ai réalisé (peut-être tard) que je n’aurai pas une seconde chance d’être ce que je veux ». D’origine camerounaise, Patricia Essong est une artiste afro-soul montante. Noire et fière, arborant avec simplicité et beauté sa belle crinière afro, Patricia Essong tire son inspiration d’artistes tels que Miriam Makeba. L’équipe de WOI est allée à la rencontre de cette jeune artiste pleine de talents.
Pourquoi t’être lancée dans la musique ?
Je m’y suis lancée parce que j’ai réalisé (peut-être tard) que je n’aurai pas une seconde chance d’être ce que je veux. J’ai grandi au Cameroun, et très jeune j’étais déjà passionnée de musique, surtout de danse. Toujours disponible à danser ou interpréter des chansons lors des organisations culturelles, mais quand j’ai voulu professionnaliser mon parcours, j’ai été intimidée et découragée par un professeur de chant qui trouvait que je chantais faux, et qu’il fallait que je sorte des rangs.
Je suis ensuite arrivée en France pour des études supérieures, avec ce sentiment certain de n’être pas allée au bout de la passion qui m’habite. Et puis arrive la trentaine, avec un parcours professionnel intéressant, une vie de famille assez classique mais surtout une frustration qui prenait de plus en plus de l’ampleur. On dit que c’est dans l’adversité que poussent les plus belles fleurs. J’ai eu le déclic dans cette période, et dès lors, je me suis répétée cette phrase qui disait que “ le meilleur jour de ta vie est celui où tu décides que ta vie t’appartient”.
A partir de là, tout devenait clair, je devais malgré l’adversité aller cette fois-ci au bout de ma démarche, je me devais d’être enfin à l’écoute de cette petite voix intérieure, sortir de ma zone de confort, et embrasser qui je suis au fond. J’ai créé la page Facebook « Itinéraire d’une working girl qui rêve de devenir artiste-musicienne », c’est ainsi que j’ai renoué avec l’univers de la musique jusqu’à sortir 3 ans plutard ce premier album intitulé Soul Of Nü Bantu.
Quelles ont été tes principales inspirations ?
Miriam Makeba reste une référence pour moi, car elle a su garder la valeur traditionnelle du chant tout en l’exportant à l’international. Lizz Wright pour sa chaleur et douceur vocale. Et enfin Tracy Chapman, celle qui a bercé mon adolescence quand je me sentais incomprise, c’était d’ailleurs mon nom de scène à cette époque.
Quel regard portes-tu sur la musique camerounaise et africaine plus largement ?
La musique camerounaise est tellement riche et variée, avec 10 provinces et des dialectes aussi multiples, la diversité ne peut être qu’énorme. En revanche je constate que le rayonnement musical camerounais connait un certain mal être. Les médias privilégient énormément la musique de l’Entertainment, du divertissement, et très peu misent sur la culture musicale camerounaise dans ses profondeurs. De plus sur le plan international, à moins de faire un buzz de l’été, les artistes camerounais souffrent de visibilité à cause du manque d’un réseau solide. C’est un constat dans toute la zone d’Afrique centrale, il n’y a pas tant que ça des leaders qui tirent les autres vers le haut. Les réussites musicales africaines camerounaises sont souvent personnelles, il y a très peu voire pas du tout de démarches collectives comme ça l’est au Nigéria ou au Ghana. Quand on cite des musiciens camerounais connus sur le plan international dès qu’on a cité 3 noms, on a fait le tour. Il y a un chantier à développer de manière collective pour que toutes les musiques camerounaises rayonnent.
Concernant la scène musicale africaine, elle a toujours été en pleine effervescence, à la différence qu’aujourd’hui, tous les yeux sont rivés vers l’Afrique. Nous sommes clairement dans une mutation, dans ce que j’appelle l’ère bantoue, et cela se traduit par tous ces mouvements auxquels nous assistons. Entre la mode, le digital, l’art, l’entrepreneuriat, la musique, le green business, c’est l’effervescence. Mais encore une fois, lorsque il s’agit de quantifier ce que produit l’Afrique, les choses deviennent complexes, voire réductrices.
Dans la musique c’est notamment l’expression « Musique du monde » qui pour ma part je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi dès lors qu’on fait du Jazz ou de la Soul ou autre mais en langues africaines, on va être estampillé dans ce registre qui n’est même pas un registre musical mais un fourre-tout.
Quand on sortira de ces types de paradigmes, on verra éclore d’autres musiques qui pour l’instant sont muettes.
Quels sont tes projets à moyen et long terme ?
Développer déjà celui que je présente actuellement, l’album Soul Of Nü Bantu. J’aimerais l’emmener dans les festivals, voyager dans les quatre coins du monde, et chanter. Je l’ai présenté en showcase le 13 Juin au Sentier des Halles à Paris, actuellement j’ai des dates qui arrivent au fur et à mesure dont une Septembre, deux en Octobre, en Décembre, mais le travail continue, rien n’est acquis.
Peux-tu nous parler de ton album Soul Of Nü Bantu ?
Soul of Nü Bantu est un album de reprises musicales africaines. C’est un voyage initiatique en langues bantoues rythmé de sonorités folk jazzy et blues, une musique alternative et minimaliste, au service de l’émotion.
Des textes en Lingala, Ewe, Yoruba, Swahili … qui invitent à l’introspection de nos valeurs, de notre spiritualité, des traditions qui se perdent, c’est un album hommage aux artistes ayant marqué des générations entières tels que Bella Bellow, Miriam Makeba, Uta Bella, Prince Nico Mbarga, Brenda Fassie. J’ai fait le choix de l’enracinement en me réappropriant notre héritage culturel bantou agrémenté de ma sensibilité. Si on doit résumer cet album, Soul Of Nü Bantu c’est l’âme néo bantoue qui réside en moi, qui réside en chacun de nous, enfants d’Afrique.
As-tu un dernier mot pour nos différents lecteurs ?
Je dirais comme Frantz Fanon que chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. Je ne sais pas si être chanteuse aujourd’hui et passer ce message de revalorisation de notre culture est ma mission mais ce dont je suis sûre, c’est que, ce que je fais aujourd’hui va clairement m’y conduire. Je dirais donc à tout un chacun de se poser cette question, de ne pas abandonner ses rêves même si les réalités sociales vont souvent les faire passer en second plan. Il faut trouver des solutions de contournement, mais surtout ne pas lâcher, vous n’aurez pas une deuxième occasion d’être vous dans cette vie.
Ne passez pas à côté de ce qui résonne en vous, un rêve est fait pour être réalisé sinon c’est un cauchemar.
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