MOMENT CULT : est une revue culturelle animée par Sarah Ndengue qui revient sur ses coups de coeur !
J’ai lu :
« Le dictionnaire de ma vie » de Maître Eric Dupond-Moretti et Laurence Monsenego aux éditions Kero.
On connaît de Maître Dupond-Moretti d’une part les procès médiatiques souvent controversés, et d’autre part les nombreux acquittements qui lui ont d’ailleurs valu le surnom « Acquittator ». Mais dans ce livre, c’est aussi l’homme à nu, sans la robe que l’on découvre : ses passions, ses combats et sa vision de notre société.
On sait de lui un attachement viscéral presque atavique à la justice, combiné à un amour indéniable pour les mots qu’ils soient écrits ou parlés, cela n’augurait rien d’autre qu’ une carrière d’avocat. C’est sur les bancs des salles d’audience plus que ceux de la fac qu’il a fait ses classes, avant de s’inscrire au barreau de Lille puis au barreau de Paris. Sur son chemin, des pointures du droit il en a croisées et certaines plus que d’autres, ont su l’aiguiller et peut-être aiguiser cet amour des causes dites perdues, qu’encore aujourd’hui il conserve ; notamment Maître Alain Furbury dont il porte aujourd’hui la robe, et dont il dit à l’entrée F comme Furbury de son dictionnaire « il m’a appris à cultiver l’insolence ». Mais Maître Dupond-Moretti est aussi un spectateur avisé de notre société, et dans ce livre il nous livre sa vision de celle-ci. Il est indéniable que depuis les attentats terroristes de 2015 survenus en France, le pays se trouve à un carrefour civilisationnel et fait face à un défi juridique sans précédent : celui de savoir comment répondre au terrorisme ? À cette question, ce ténor du barreau livre des indices de réponses qui ne manquent pas de révéler son avis. C’est ainsi qu’à l’entrée B comme Bataclan de son dictionnaire, il déclare sans ambages : « une démocratie ne répond pas sauvagement à la sauvagerie » et tant pis si cela lui vaut une affiliation à la team « bobo droit-de-l’hommiste du Café de Flore », car cette vision du droit et de notre société il l’assume. Dès lors, pas question pour lui de revenir sur les droits de la défense en matière de terrorisme. Maître Dupond-Moretti est un éternel indigné, et son indignation elle touche autant la société de manière générale, que le système judiciaire de manière plus ciblée : à commencer par l’École Nationale de la Magistrature dont il réclame la suppression . Mais le travers du système judiciaire qu’il dénonce surtout avec l’énergie la plus vive, est la médiatisation de plus en plus récurrente et pressante des procès, et l’impacte de l’opinion publique sur ceux-ci. À cet égard, il s’inscrit dans la lignée d’un autre ténor du barreau, Maître Henri Leclerc et tous deux dans leur livre respectif (« La Parole et l’action » pour Maître Henri Leclerc), ne manquent pas de reprendre la phrase d’un autre illustre avocat Maître Moro-Giafferi qui disait de l’opinion publique « chassez-là cette intruse, cette prostituée qui tire le juge par la manche ». Et si jamais un quelconque doute subsistait encore sur son avis quant à l’hyper-médiatisation des procès, cette recommandation vient indéniablement lever toute éventuelle ambiguïté : « Au vent de la rue il faut fermer les portes du palais. »
Cependant, ce livre est aussi un hommage. L’hommage à une mère d’origine modeste dont le sacrifice et l’éducation ont permis à l’enfant de devenir un des avocats les plus brillants du barreau français, mais aussi un homme libre dans ses choix, libre dans sa tête et surtout libre dans sa parole, et dans l’exercice de son métier.
Si ce livre met en exergue une partie plus ou moins connue de la vie de l’avocat le plus célèbre de France, il révèle également que ce dernier est aussi ce qu’on a coutume d’appeler un bon vivant. Entre l’épicurien et l’hédoniste, il revendique entre autres son amour pour la tauromachie,ou pour le whisky distillé en Écosse ou en Corse. C’ est également un grand adepte de viande, un fin gourmet qui n’hésite pas à partager des recettes avec le chef étoilé Alain Ducasse. D’ailleurs à l’entrée C comme cuisine de son dictionnaire, celui qu’on surnomme aussi l’ « Orgre du Nord, » ,nous livre une délicate recette de spaghettis, et révèle avoir davantage confiance en la cuisine de son pays qu’en sa justice.
Ce livre est un constat de ce qu’est le système judiciaire aujourd’hui, ses valeurs et ses travers. Mais c’est aussi le récit d’une vie. D’une part celle d’un avocat impertinent, amoureux de justice et des mots d’où le choix d’un dictionnaire, et qui n’hésite pas à dire ce qu’il pense et à défendre autant ses opinions que ceux qui sont mis en cause ; et d’autre part, le récit d’un homme finalement haut en couleur et attaché à une liberté qui lui permet de savourer les plaisirs de la vie.
J’ai regardé :
« Félicité » « le magnifique film d’Alain Gomis » avec Véronique Tshanda Beya Mputu.
« Félicité » c’est l’histoire d’une femme congolaise qui tous les soirs rythme de sa voix et de ses chants les soirées que l’on passe dans les bars de Kinshasa, à s’étioler dans les derniers degrés de l’alcool. Ce métier lui permet de survivre et de s’occuper de son fils. Seulement l’argent qu’elle gagne va très vite s’avérer dérisoire face aux problèmes qu’elle aura à affronter. Un matin, elle apprend que son fils de 14 ans, Samo a été victime d’un accident de circulation. Et comme si la douleur d’une mère face à cette situation ne dressait pas déjà un tableau assez grave, cette femme à l’allure fière et au tempérament de guerrière, va vite être rattrapée par les réalités d’un pays où sauver une vie requiert une contre-partie financière et simultanée importante. Mais n’ayant pas les ressources nécessaires à l’opération de son fils, elle se lance dans une course contre la montre, à la recherche d’un argent qui permettrait de sauver son fils d’une amputation. Dans cette course aux allures effrénées et dramatiques et à l’objectif difficile, elle trouve un allié qui de temps à autre essaye de lui rendre la vie légère et supportable, en la personne de Tabu, ce monsieur pourtant habitué des soirées alcoolisées qui se terminent en explications physiques.
Ce film est une claque que l’on se prend en pleine figure ; dramatique et sentimental, la seule première scène suffit à nous transporter vers un ailleurs qu’on aime à idéaliser mais où la réalité est autre. Cet ailleurs c’est la République Démocratique du Congo, plus précisément la capitale Kinshasa. Ici, la joie de vivre se matérialise par les chants qui rythment les soirs, les sourires d’inconnus qui se croisent, et les discussions passionnées en lingala qui ne se terminent pas. Mais cette joie de vivre c’est aussi celle qui côtoie les moments de la vie un peu plus graves, où la misère marche dans les rues de Kinshasa rappelant à certains la précarité de leur situation . D’ailleurs ce cocktail de rires et de pleurs est parfaitement symbolisé par toutes ces soirées où malgré le chagrin qui la ronge, Félicité est obligée de chanter et faire danser ses contemporains car l’argent qu’elle gagne elle en a besoin.
« Félicité » c’est aussi l’histoire d’un réalisateur-Alain Gomis, qui a su trouver les angles adéquats pour décrire certaines réalités sans pour autant tomber dans le cliché. Les acteurs, on les aime parce qu’ils tordent le cou à ce cliché du film d’Afrique centrale où les personnages sont tous des canons de beauté, et le jeu d’acteur retentissant de superficialité. Ici, des Madame et monsieur tout le monde qui affichent un jeu d’acteur éminemment séduisant et incontestablement entraînant.
Une revue de S I G N